La
récente aggravation de la situation sécuritaire française, depuis
l'intervention armée contre l'Etat islamique - une entrée en guerre - et
l'égorgement d'Hervé Gourdel, pourrait avoir des conséquences sur la gestion
(très profondément défaillante, stratégiquement parlant) du phénomène
antisémite par le gouvernement français. Rappelons qu'il y a fait face jusqu'à
ce jour sur la base de deux erreurs d'appréciation.
Le système du mensonge
La première
erreur de
jugement concerne la définition du fait lui même,
qu'il s'agit de réprimer et d'éradiquer, une erreur déterminante car
génératrice d'une kyrielle de méprises.
Les leaders français, sur ce plan là - il faut reconnaître -, sont
prisonniers de l'enfumage idéologique provenant des médias et des leaders
d'opinion qui fait accroire que le fait antisémite n'a pas ses origines en
France mais qu'il est la conséquence d'un "conflit importé".
Si tel est le cas - ainsi procède ce raisonnement défaillant - puisque la France n'est pas concernée dans sa réalité, puisque les agresseurs viennent de milieux musulmans (Merah, Nemmouche, etc) et qu'ils ne s'en prennent qu'aux Juifs (au nom de la cause palestinienne et de l'islam), c'est (donc) la politique israélienne qui en est la cause. Elle entraîne l'ire de milieux musulmans français qui exprimeraient leur exaspération à l'encontre les Juifs français. C'est cette "compréhension" (qu'avait notamment bien exprimée Hubert Védrine en 2001) et cette justification morale de la raison[1] avouée des violences qui a légitimé l'antisionisme et fait que l'hostilité obsessionnelle envers Israël est devenue le cheval de Troie du nouvel antisémitisme. L'antisionisme est tenu pour une opinion légitime de sorte qu'"il n'y a pas d'antisémitisme"[2]. C'est la politique condamnable d'Israël envers les Palestiniens qui est tenue pour être à la source des violences en France parce que - autre principe a priori - les Palestiniens - "le peuple en danger" - sont innocents. Personne ne s'étonne cependant de ce que des musulmans - qui ne sont pas des "Palestiniens" mais des Français - se retournent contre certains de leurs concitoyens, des Juifs - qui ne sont pas des Israéliens/des" colons".
C'est ce qui a décidé du deuxième leurre interprétatif: ce "conflit importé" (donc non français) provoque des "tensions inter-communautaires". Il concerne des "communautés" étrangères à la France qui se livreraient combat sur le sol français devant une société française spectatrice. Ce n'est donc pas de l'antisémitisme car les deux protagonistes sont répréhensibles: il n'y a donc ni victimes ni coupables.
Les conséquences de ce jugement sont triples pour les Juifs et gravissimes. Déni il y a de la condition de victimes des Juifs qui ont subi des agressions en grand nombre sur 14 ans et qui pourraient en subir à l'avenir (ce sur quoi tout le monde s'accorde). Culpabilisation il y a des Juifs, identifiés à leurs agresseurs, aussi coupables qu'eux, alors il n'y a de victimes que juives parce que les Juifs n'ont jamais agressé personne. La conséquence la plus grave pour les Juifs est cependant la dénationalisation rampante, ou à tout le moins l"allogénïsation", pour eux qui ne sont ni de récents immigrés ni des doubles nationaux (de pays en guerre contre Israël[3] ) et dont la religion s'est réformée en 1807 pour entrer dans le cadre national.
Le début de la débandade rhétorique
Là où
ce système symbolique d'externalisation extra-française du fait antisémite
atteint sa limite de validité, c'est
quand la menace qui était, semblait-il, circonscrite aux Juifs et localisée en
Israël, s'étend désormais à toute la société française et en France: lorsque
les "jeunes des banlieues" ("chômeurs", choqués de ce
qu'Israël fait aux "enfants de Gaza" - dixit Merah-, etc) partent pour le Jihad et en reviennent.
Nous assistons alors à l'avènement d'un nouvel âge du "narratif" journalistique pour rendre compte d'une situation qui met à mal le leurre des "tensions inter-communautaires". Soudain il apparaît que le problème, ce n'est plus "Gaza" ni le pauvre "peuple palestinien" mais l'islam et le jihad en guerre contre les "judéo-chrétiens". L'enfumage médiatique se réajuste à la nouvelle donne: soudain les agresseurs de toujours (depuis les années 2000) deviennent non plus des "communautaristes" (en lutte avec d'autres "communautaristes " juifs) mais des "Français". L'insistance mise par les journalistes sur la qualité de "français" des jihadistes de retour tranche en effet sur la règle de langage précédente. Elle signifie que, face à des terroristes capables de frapper la France, et donc bien plus que les seuls Juifs, on ne parle plus de "tensions intercommunautaires" (un terme qui excluait les victimes juives de la communauté nationale et les culpabilisait), ni de "conflit importé" mais on emploie un terme qui réintègre les assassins à la francité.
Cela
voudrait dire aussi qu'il n'y a plus de "conflit importé", à savoir
que la guerre civile syrienne et le jihad en Irak ne sont pas tenus pour des
"conflits" qui s'importent en France.
Ici, les médias veillent à ce que des assassins qui ont trahi le pacte
de la citoyenneté soient précisément, en tant que tels, qualifiés de
"Français", comme pour surenchérir et casser le sentiment que ce
développement pourrait induire dans les consciences, concernant la
responsabilité du monde musulman mais aussi le fait que l'antisémitisme est un
phénomène bien français, puisque les Merah et Nemmouche sont réidentifiés comme
"français". En somme, on intégre le jihadisme dans la francité[4] pour lui
faire face et le combattre tandis qu'on en a exclu subrepticement
("tension intercommunautaire", "culpabilité" d'Israël), ou
ouvertement depuis peu (voir nos chroniques[5]), la
judéïté, pour (ne pas) faire face et (ne pas) combattre l'antisémitisme. Toute
une terminologie "romantique" et fallacieuse en naît: "loups
solitaires", "enfants perdus du Jihad", abusés par des
mouvements "sectaires" - dixit "l'anthropologue Dounia
Bouzar" sur tous les plateaux médiatiques, etc. Du coup, le fait qu'ils
prennent toujours les Juifs comme cible principale et primordiale (à preuve
Nemmouche de retour de Syrie) disparaît encore plus de la conscience.
La cause efficiente
Cela nous ramène à la cause efficiente[6] de cette direction de langage ("éléments de langage" est la nouvelle formule) que nous avons analysée et qui fonde la compréhension et la stratégie du leadership politique français, à savoir le "politiquement correct" concernant l'islam. La haute voltige rhétorique et oratoire que nous avons identifiée ne s'explique en effet que dans la finalité d'éviter de faire mention de l'islam dans des affaires où il constitue manifestement la motivation majeure (et fondée sur le texte coranique), que ceux qui l'invoquent pour perpétrer leurs méfaits soient reconnus ou pas par d'autres secteurs de l'opinion musulmane (dont personne ne doute qu'ils existent). En effet, les faits internationaux, démontrent avec force que "la religion de la paix" est la cause invoquée de très nombreuses violences sur toute la planète (Asie du sud, Chine, Russie, Afrique, etc). Pourquoi le constater objectivement est-il objet de censure et de délégitimation[7]?
Le
fait qu'une telle attitude contraste avec la violence débridée des jugements
concernant Israël et les Juifs qui, eux,
ne bénéficient d'aucune restriction mentale, signifie que ce syndrome du
politiquement correct joue un rôle déterminant dans l'escamotage de la nature
de l'antisémitisme[8].
Elle occulte le fait que la haine des Juifs n'est pas motivée par la
"politique d'Israël", les "colons juifs",
"l'agressivité de la communauté juive", "la radicalisation des
jeunes juifs" et autre sornettes, mais par une haine religieuse qui émerge
de l'islam dans de vastes secteurs du monde musulman, et auprès d'autorités
religieuses parfaitement instituées et représentatives et, ceci, sur toute la
planète.
C'est jusqu'à la dénomination de l'Etat islamique qui est concernée. Très bizarrement, le gouvernement français et tous les leaders occidentaux ont fini par le désigner de son nom arabe, Daesh, pour ne pas épeler ce que ce sigle dit en arabe, à savoir Etat islamique (ISIS en anglais)! "Islamique" les gène parce qu'ils ont tous déclaré au début de cette affaire que "l'Etat islamique" ne représentait pas l'islam! C'est là un fait proprement fascinant qu'au moment où l'Occident s'apprête à bombarder un ennemi, il dénie sa véritable identité (et la sienne propre, c'est là le problème originel). Du coup, l'opinion publique retombe dans les errements de la période précédente du narratif. J'ai pu entendre ainsi sur BFM-TV Asma Guenifi, présidente de "Ni putes ni soumises" nous ressortir que le chômage, le désespoir social expliquent pourquoi des "jeunes" s'engagent dans le jihad. Et donc pas des causes islamiques! Bien sûr puisqu'il s'agit de la "religion de la paix"! Mais alors il faudra rendre compte de ce que des convertis, par principe étrangers aux haines réputées "politiques" des Arabes (anticolonialisme, antisionisme...), s'engagent dans le jihad sanglant en adoptant l'islam comme religion...
Alors
que le Daesh a appelé les musulmans de toute la planète à tuer des Occidentaux
et spécialement des Français, le narratif de l'innocentement de principe de l'islam
qui le motive se retrouve cependant sérieusement mis en danger à domicile même.
En réaction à l'égorgement de Hervé Gourdel, l'opinion musulmane a été
sollicitée par les médias, et sans doute le gouvernement, pour condamner (non
le jihad mais cet acte précisément[10]) dans
le cadre d'une campagne de conscientisation nationale en prévision d'une vague
d'attentats annoncés. Sur le plan concret, cette condamnation est évidemment
importante et bienvenue pour éviter la guerre civile mais elle joue le rôle
d'un cautère sur une jambe de bois car elle évite aux musulmans un regard
critique sur eux mêmes et d'autres musulmans et la nécessité de réformer leur
religion[11].
Le recteur de la Mosquée de Paris a cité, à l'occasion, un verset du Coran
"qui tue un homme, c'est comme si il avait tué un monde" (un dicton
que, en l’occurrence, le Coran a repris du Talmud) mais il fait l'impasse sur
d'autres versets sur lesquels se fondent le Daesh pour égorger les
"Koufar"[12]... On
ne peut pas soutenir en effet que les actes condamnés n'ont rien à voir avec l'islam,
comme la chose est couramment dite, car les injonctions de ce type sont
nombreuses dans le Coran. Si elles y sont, il vaudrait mieux que les musulmans
qui les récusent comme commandements déclarent officiellement et religieusement
qu'elles ne sont plus valides aujourd'hui. Il faut en effet voir en face la
réalité: les jihadistes font une lecture du Coran où ils trouvent leur
justification. Ils sont aussi (et même plus) musulmans.
Les conséquences d'une stratégie erronée
L'escamotage
de ce qui se trame dans le monde musulman a cependant un revers direct: en ne
voulant pas condamner la cause réelle de l'antisémitisme (ce qui va de pair
avec un syndrome proprement européen et occidental du rapport au monde arabo-musulman),
la doctrine stratégique occidentale (et en l’occurrence française) en reporte la
responsabilité sur Israël, sur son existence même, le "sionisme".
S'il y a des problèmes - pense-t-on - et puisque l'islam est une "religion
de paix", et si l'islam est en guerre contre Israël, c'est donc que la
faute en incombe à Israël! Le Hamas lutte contre "l'ocupation" mais
l'islam n'est pas sa motivation! D'ailleurs, les musulmans qui condamnent
l'Etat Islamique soutiennent le Hamas! Le caractère mondial de la menace
islamiste contribue ainsi à mondialiser l'accusation d'Israël, même quand il
devient évident que ce n'est pas "l'occupation" qui menace la paix
mondiale mais l'Iran, mais l'islamisme, mais la guerre de religions de
l'islam... Il y a ainsi en Israël plus de journalistes que dans tout le
continent africain... C'est ce qui fait que la "solution" du problème
"israélo-palestinien" monte au sommet des priorités de tout
l'Occident.
L'innocentement
de principe de l'islam (Palestiniens, Iraniens, Frères Musulmans,etc) ne fait
ainsi qu'aggraver une hostilité idéologique et symbolique qui n'est pas
seulement le fait des musulmans et de l'immigration mais aussi de la société
civile française dans tous ses canaux, condamnant de concert Israël et le
sionisme de façon obsessionnelle (485 manifestations en France en faveur du
Hamas!), ce qui a pour effet d'entraîner en retour la légitimation de la
vindicte musulmane et islamiste contre les Juifs, un cercle vicieux qui a rendu
possible que s'établisse en France la situation que l'on connaît depuis 15 ans.
Pourquoi le système du mensonge pourrait
s'effondrer?
Le
mensonge sur la situation occulte la réalité mais celle-ci ne cesse pas pour
autant d'exister. Elle est vouée inéluctablement à se manifester et à dissiper
l'écran de fumée qui la travestit. C'est le moment où l'abcès de fixation (ce
que j'ai appelé le "système d'exclusion"), c'est à dire l'enferment
du problème général dans un espace restreint (conflit inter-communautaire,
lutte contre l'occupation), éclatera, c'est-à-dire étendra à toute la réalité
ce qui avait été enfermé dans l'élément exclu, les Juifs-israël. Cette
évolution s'imposera du fait des actions terroristes à venir de l'Etat
islamique en France, perpétrées par des "Français de retour du jihad"
sur des motifs qui n'ont plus rien à voir avec "l'occupation", ou la
haine des Juifs et de "ce qu'ils font aux enfants de Gaza" et qui
viseront, comme nous le disent tous les spécialistes du terrorisme toute la
société française. La France et l'Occident sont en effet la cible centrale de l'islamisme.
On se rendra alors compte que ce qui était arrivé aux Juifs depuis 14 ans
annonçait ce qui arrivera à tout le monde. Manuel Valls a parlé un temps
d'"ennemi intérieur", certes, en tout cas, une situation de guerre
civile. Puisse la clairvoyance à laquelle il faut appeler nous en préserver!
[1] Bernard Cazeneuve lui même sur Médiapart déclare que s'il n'avait pas été ministre il aurait manifesté pour "Gaza", une cause juste, et il a récusé toute explication qui voit dans l'islam le motif des entreprises de l'Etat Islamique
[2] Et si les Juifs le prétendent, ils se voient accusés d'inventer une accusation sans fondement et donc d'être "agressifs"...
[3] L'Algérie, la Turquie ottomane d'Erdogan, notamment, pour ce qui est de la France...
[4] Ces remarques pointent des phénomènes dans l'imaginaire et l'idéologie mais pas (encore?) dans la réalité juridique: voir le débat sur la privation de citoyenneté pour les djihadistes ou les demandes semblables pour les émigrants juifs pour Israël, accusés de servir dans une armée commettant des "crimes contre l'humanité"
[5] Cf. "Interdire l'aliyah aux Juifs de France? La criminalisation du sionisme en France", "Interdire l'aliyah aux Juifs de France? Acte 3", etc
[6] Celle qui n'est pas la plus évidente mais qui est déterminante
[7]Daniel Sibony y a apporté une réponse d'ordre psychanalytique. Cf. Islam, Phobie, culpabilité, Odile Jacob 2014.
[8] Les militants de la cause islamique l'ont bien compris quand ils ont inventé le concept d'"islamophobie" qui leur permet d'annuler sur le champ toute identification des actes antisémites perpétrés au nom de l'islam, en appelant à ne pas faire d'"amalgame", de sorte que tout acte antisémite est suivi d'une manifestation de défense de l'islam et des musulmans... Le terme leur sert aussi pour dire, comme Ramadan, que les jihadistes sont des victimes du racisme français.
[9] Sauf que cela pourrait traduire la puissance de l'influence islamique sur le plan international, à travers les 60 pays de l'Organisation de la Coopération Islamique qui a engagé l'UE et les Etats-unis dans le "dialogue des civilisations" (voir à ce propos l'explication documentée de Bat Ye'or) en rapport avec le "Dialogue Euro-Arabe"), ou tout simplement le pouvoir financier du Qatar.
[10] Quel contraste entre la réaction patriotique et nationale à cet assassinat et le traitement français de l'enlèvement des "trois jeunes colons"!
[11] Remarquons que, même si il y a là une parade rhétorique (et elle est de toutes façons bien venue), l'enseignement qu'on en retire en ce qui concerne l'antisémitisme est inquiétant car si les leaders d'opinion musulmans ont (justement) senti que, sans réaction de condamnation, ils s'exposeraient à des soupçons du public français, ils n'ont jamais ressenti une telle pression venir de ce même public qui les aurait poussés à condamner manifestement l'antisémitisme. C'est comme si l'opinion publique l'avait autorisé moralement...
[12] Cf., par exemple, le Coran 9, 5 “Quand les quatre mois sacrés seront passés, tuez les idolâtres partout où vous les trouverez. Saisissez-les, assiégez-les, mettez-vous en embuscade pour les prendre. Mais s'ils se repentent, s'ils sont fermes dans la prière, s'ils donnent l'aumone (c'est à dire se convertissent!), laissez-les aller leur chemin..." , ou 9,29 "Tuez ceux qui ne croient pas en Allah ni au dernier jour et qui n'interdisent pas ce qu'Allah et son apôtre ont interdit et quiconque ne pratique pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu'à ce qu'ils aient payé le tribut de leurs mains et qu'ils soient humiliés", etc. Le tout est de savoir comment on interprète ces versets. C'est là qu'il se trouve des islamistes pour les comprendre au pied de la lettre...