A travers le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI) que vous avez créé, vous tentez, avec succès parfois, de reconstruire des jeunes endoctrinés à un islam violent, sur le départ ou de retour de Syrie ou d’ailleurs. Avez-vous été en contact avec des personnes de confession juive ?
Nous accompagnons actuellement une jeune fille juive. Elle a 17 ans et s’appelle Adèle*. À ce jour nous avons réussi à la maintenir chez ses parents pour que le lien familial ne soit pas brisé. Ce qui est extrêmement important pour éviter une radicalisation encore plus forte. Mais Adèle est toujours victime de son auto-endoctrinement, elle est entièrement voilée, violemment antisémite et se dit toujours victime d’un grand complot. C’est un cas d’endoctrinement très fort et il reste beaucoup de chemin à parcourir.
Quel est le profil de cette jeune fille ?
C’était une élève brillante dans un lycée réputé de la région parisienne, et parmi les premières de sa classe. Adèle a grandi dans un foyer juif pratiquant mais ouvert, avec des parents aimants que je connais bien à présent : ils m’ont contacté en mars dernier, après avoir tapé à la porte de toutes les institutions en vain et je les accompagne depuis. Ce sont des commerçants relativement prospères qui essaient de sortir Adèle de ce piège. Imaginez le désarroi de ces gens quant ils ont appris que leur fille envisageait de faire sauter leur magasin !
Comment en est-elle arrivée là ?
Comment cela a commencé ? Quel a été l’élément déclencheur ? Cela est un mystère que nous essayons encore d’élucider à travers nos séances de discussions. Ses parents ont remarqué que quelque chose clochait quand les notes de leur fille ont dégringolé de 18 à 2, et qu’elle a commencé à refuser de sortir.
La plupart des jeunes que j’accompagne sont issus de la classe moyenne ou supérieure comme pour Adèle. Mais dans l’écrasante majorité, ils proviennent de milieux athées. On peut donc imaginer que le manque de repères spirituels est un facteur de la radicalisation. C’est le cas de deux autres jeunes issus de familles juives « mixtes » que j’accompagne : l’un des deux parents est juif, mais les deux sont athées. Mais cette jeune fille, Adèle, ne rentre pas du tout dans le moule des candidats classiques au départ pour la Syrie, du fait de la pratique religieuse et de l’ouverture de ses parents. Cependant comme 70% des candidats au départ en Syrie, elle n’est pas musulmane.
Au contact de qui s’est-elle radicalisée ?
Bien sûr il y au départ internet, les vidéos, la propagande, et les premiers rabatteurs virtuels. Puis, il y a eu pire et plus dangereux. Les réseaux physiques de recruteurs pour la Syrie sont très bien implantés en France et en région parisienne. Elle est entrée en contact avec eux et ils ne la lâchent pas. Les parents ont dû déménager à plusieurs reprises. Mais des indices laissent croire qu’elle les fréquente encore. Quand ils lui confisquent son IPhone, ils en retrouvent un flambant neuf quelques jours après dans ses affaires. C’est la même chose pour les livres de propagande qui réapparaissent dans sa chambre malgré la vigilance des parents.
*Le prénom a été modifié.