La reconnaissance d'un "Etat de Palestine" par le Parlement français a tout d'un acte "mystique", dont la portée se situe à hauteur de grands faits historiques comme Vichy ou la Shoah, en ce sens qu'ils indiquent une intention sur le plan de l'essence des choses. Le fait que, pour ce faire, la constitution de la V° République ait été enfreinte, le caractère théâtralement solennel de l'événement (l'incantation répétitive "Mesdames et Messieurs" rythmant le discours de Fabius), le réflexe moutonnier des Parlements européens, le fait que rien ne justifie aujourd'hui une telle démarche, l'invocation grandiloquente de la morale confirment ce carrefour du destin où l'Europe sera jugée pour un abandon des Juifs qui rappelle 1940.
Je pèse mes mots car il est clair que le diktat que l'Europe veut imposer à Israël le conduirait dans une impasse mortelle face à un ennemi résolu à l'abattre. Il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre. L'exemple du retrait de Gaza y suffit. Mais il y a plus, car l'Europe ajoute le mépris à ses erreurs politiques. Drapée dans sa suffisance morale, elle met en demeure le "petit Etat de merde" (dixit, il y a quelques années, l'ambassadeur de France en Grande- Bretagne) comme on le ferait pour une République bananière, dans le plus pur style colonial. Le Quai d'Orsay a-t-il la faiblesse de penser que l'Etat d'Israël est le ghetto ou le camp humanitaire de réfugiés qu'il voudrait qu'il soit? Et quelle brutalité de lui intimer un choix capital sous la forme d'un ultimatum (mise au ban de l'Europe "dans deux ans, si...").
« La reconnaissance de la Palestine ébranle les fondements symboliques de l'identité juive française d'après Vichy.»
Quand on replace ce développement, pour l'instant d'ordre symbolique, dans la perspective de l'antisémitisme des 15 dernières années, la photo est bien plus "crue". Sous le gouvernement Jospin, en 2001, un choix stratégique erroné eut de graves conséquences. En imposant un black out total sur les 450 agressions antijuives commises alors par des membres de la communauté immigrée, sous prétexte de "ne pas jeter de l'huile sur le feu" (Daniel Vaillant), en ne les condamnant pas (bien au contraire, cf. Hubert Védrine), en ne les punissant pas, les socialistes ont mis en place le paysage léthal que nous connaissons, cause d'une sévère régression de la condition citoyenne pour les Juifs. Ils ont contribué à préserver l'image des agresseurs, à les innocenter, au point que la première réaction de l'opinion publique à l'alerte qui fut lancée fut la réprobation et l'accusation de racisme et de communautarisme.
Le retour de la note de Pascal Boniface
L'antisémitisme ne fut pas reconnu comme tel mais travesti sous le leurre de "tensions intercommunautaires" et de "conflit importé", dont la politique israélienne était bien sûr responsable. Cette malversation fondamentale devint le scénario des médias, la vérité officielle sur la situation et la justification de politiques défaillantes (dialogue interreligieux, "vivre ensemble"...) Les voix juives discordantes furent bannies et les institutions juives embrigadées. Le traitement sécuritaire et non politique de ce ferment de guerre civile voua, dans le meilleur des cas, les Juifs - sacrifiés à la paix civile - à une sacralisation victimaire et martyrologique ("toucher à un Juif c'est toucher à la République") qui ne fit qu'empirer leur situation.
La boucle est-elle bouclée? La stratégie défaillante des années 2000 a mis en danger la sécurité des individus. La reconnaissance de la Palestine ébranle les fondements symboliques de l'identité juive française d'après Vichy, en remettant en question la légitimité de la condition de peuple qu'Israël a restaurée dans la souveraineté. La note de Pascal Boniface au PS de 2001, qui prônait clairement l'abandon des Juifs, a bien été entendue.