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02 Juin 2023 | 13, Sivan 5783 | Mise à jour le 04/08/2020 à 22h39

Rubrique France/Politique

Les Klarsfeld, l’épopée d’un couple qui s’est « hissé au-dessus de lui-même »

Les « Mémoires » de Beate et Serge Klarsfeld parues aux éditions Fayard-Flammarion constituent un événement dont les médias se sont emparés avec fièvre, tant l’épopée de ce couple hors du commun a fait bouger les lignes de l’Histoire de la post-Shoah, avec la famille des Fils et Filles.

Serge et Beate déclinèrent longtemps l’invitation à rédiger leur biographie. En 2012, Serge écrivait en effet à l’éditeur pour exprimer « leur manque de temps à consacrer à pareille tâche », et faisait part de « leur réticence à ne pas prendre une décision définitive en raison de l’absence de besoin et de désir d’être connus intimement ; la conviction qu’il vaut mieux être jugés par la postérité pour ce que nous avons accompli et non pour ce que nous sommes ; notre désintérêt à nous retourner sur notre passé, qui nous prive de la possibilité de nous retourner sur notre psychologie et nos états d’âme lors des péripéties que nous avons connues, notre manque de talent de conteurs, qui ramène notre expression au simple résumé de l’action ; j’en passe et des pires… » Et puis le temps a passé. Comme le confie Serge : « Nous avons, malgré tout fini par remplir le contrat. Nous ne le regrettons pas. Nos petits-enfants et leurs descendants sauront ainsi, sinon qui nous fûmes, du moins ce que nous fîmes. Nous avons appris par l’expérience vécue que nous étions capables de nous hisser au-dessus de nous-mêmes… » C’est ainsi que pour la première fois Serge et Beate livrent ce qu’il en fut de leur combat inouï en utilisant le « je » lors de leurs narrations respectives. Et cela nous vaut un récit haletant de 700 pages qui nous transporte au plus près du vécu de ce couple qui a tant pesé dans l’Histoire du temps présent. L’Oeuvre de Mémoire Nationale construite avec les « Fils et Filles » saluée par les plus hautes autorités de l’Etat, n’aurait pu s’accomplir si Beate, fille d’un soldat de la Wehrmacht, et Serge, fils d’un Juif roumain, assassiné à Auschwitz, ne s’étaient rencontrés le 1er novembre 1960, et n’avaient commencé alors une idylle qui les comble depuis tous les jours de leur vie. Comme aime à le dire Serge, en l’extrapolant à l’endroit des « Fils et Filles » : « Pour accomplir ce que nous accomplissons, il faut être heureux, sinon on ne tient pas… » Tel est le secret de la prodigieuse aventure de Beate et de Serge, « ces chevaliers de la bonne mémoire » comme les appelait Vladimir Jankélévitch, dont il est bien difficile de retracer les contours de leur combat tant il est tentaculaire. L’exploration de cette œuvre de combat - qui fait d’ores et déjà l’objet de thèses de doctorat en Histoire - déployée depuis plus de quarante ans aux quatre coins du monde, avec ses assauts contre Vichy, contre les criminels nazis et leurs collabos, contre les politiques, les Etats, les tenants de l’antisémitisme, les thuriféraires de Pétain, et même parfois contre l’opinion publique ne saurait conduire à une exhaustivité absolue. 

 

Un puzzle de justice, de fidélité et de réparation

On croyait connaître tous les rouages de cette aventure extraordinaire. Mais ces biographies croisées prouvent le contraire, en révélant  bien des détails, malgré l’exploration attentive de l’œuvre, ainsi que j’ai l’occasion de m’y atteler depuis 1981 à travers un nombre incalculable d’entretiens à « Mémoire et vigilance », autant d’articles à Actuj, et un ouvrage paru chez Stock en 1997. Cette œuvre donne le vertige, tant elle est féconde au plan national et international. Elle est unique et noble en ceci qu’elle a « fait » bel et bien l’Histoire, en construisant peu à peu un puzzle de Justice, de fidélité et de réparation, dont à l’évidence, nous ne pouvons que résumer les étapes les plus marquantes : 1979-80, Les procès de Cologne, 1981 le premier pèlerinage à Auschwitz-Birkenau en un seul jour, la création du Mur à Roglit, les voyages multiples avec les Fils et  Filles sur les traces de la Mémoire juive assassinée, et contre les anciens nazis, la création de la Lecture des Noms en symbiose avec le Rabbin Daniel Fahri, les poses de stèles et de plaques en de nombreux lieux des tragédies juives en France ; les expositions sur la déportation des juifs de France et en hommage aux 11400 enfants dans les gares à l’Assemblée Nationale, à l’Hôtel de Ville de Paris, et au camp des Milles ;  les manifestations diverses en Allemagne, et à Vienne ; la participation à l’inauguration du Jewitsh Heritage Museum de New York, « l’océan » d’ouvrages de référence majeurs, dans toutes les bibliothèques mémorielles du monde, les réalisations de stèles et de plaques du souvenir dans tous les lieux du martyrologe des Juifs, le rôle clé au sein de la FMS ; la création avec Simone Veil du Mémorial de Drancy ; la réhabilitation grâce à la FMS de la « Rampe » de Birkenau, le rôle très actif  joué dans de très nombreux conseils d’administration et de comités scientifiques, les poses de plaques dans les écoles de Paris et de province avec le concours des AMEDJ…Tout cela forme un socle national intangible, qui nourrit une fierté légitime chez tous les Militants de la Mémoire regroupés autour des Klarsfeld. Cette lutte menée par la famille des Fils et Filles en symbiose avec Serge et Beate a permis ainsi d’exorciser bien des souffrances, dont témoignent sans nul doute aujourd’hui nombre d’entre nous. 

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