L'Europe nous offre ces jours ci un spectacle de fin des temps. Elle est la scène d'un bouleversement historique comme l'histoire de l'humanité en a rarement connus. Au plus près des faits - et donc très loin de l'habillage sémantique des médias - c'est d'un transfert de populations qu'il s'agit, du Moyen Orient vers l'Europe. "Migration" relève du jugement sociologique, mais, en termes politiques et donc militaires, lorsque des masses considérables de population forcent les frontières, s'imposent à des Etats qui n'ont pas été sollicités et n'ont pas donné leur accord, et de surcroît avec des exigences en matière de droits, on aura parlé, en d'autres temps, d'"invasion". Les populations en question en effet ne sont pas, dans leur majorité, constituées de réfugiés loqueteux mais de gens capables de payer jusqu'à 3000 euros à des passeurs et leurs places de train, détenteurs de Iphones etc. Du flot d'images qui apparaissent sur les écrans, se dégage la figure d'une population de jeunes hommes dans la force de l'âge et plus rarement de femmes (la plupart voilées) et d'enfants.
Il est très clair que leurs deux points d'entrées sont la Libye et, surtout ces derniers temps, la Turquie. On sait ce qu'il en est de la Libye, par contre la responsabilité de la Turquie dans cet exode de masse reste un tabou malgré le déluge médiatique. Or, il ne fait pas de doute qu'en laissant partir ces populations par la mer, tant par les moyens qu'elle leur fournit (vente de canots, etc) que par sa tolérance du trafic des passeurs et l'absence de surveillance de ses frontières, la Turquie porte un coup à l'Union Européenne qu'une Europe anémique est incapable de fustiger. Ce coup violent prend une ampleur stratégique quand on le replace dans la perspective du soutien de facto des Turcs à l'Etat islamique, en matière d'approvisionnement en toutes ressources, de commercialisation du pétrole, d'absence d'attaque réelle de ses troupes, conjuguée aux frappes contre les ennemis kurdes de l'Etat islamique, et, last but not least, la facilitation du passage des djihadistes du monde entier vers la Syrie. Les "réfugiés" actuels ne viennent pas de Syrie mais de Turquie où les rejoignent sans doute les Érythréens qui se trouvent parmi eux.
Dans
l'ère des Etats-nations et dans l'ère post-moderniste: c'est selon...
La terminologie privilégiée par les médias - en accord
sans doute avec les élites politiques - fait écran à la réalité. Les deux pouvoirs
fonctionnent objectivement de concert dans toute l'Union Européenne et donnent
le ton de l'interprétation des événements. Nous avons constaté, ces dernières
vingt années, l'importance croissante des officines de communication politique
qui sont devenues les instruments clefs du pouvoir qu'elles fournissent en
dispositifs sémantiques, "éléments de langage" comme on dit
aujourd'hui (ce qu'on appelait hier "discours idéologiques"),
mots-valises capables d'"habiller" un événement pour en détourner le
sens afin de favoriser une ligne politique. Il y a en effet des mots qui font
écran à la compréhension des choses qu'ils désignent. Ils faussent profondément
le débat public, ce qui contribue à obscurcir encore plus la réalité au point
qu'on ne comprenne plus rien. Nous avons été quelques uns, depuis 15 ans, à
identifier cette nouvelle forme de pouvoir avec le traitement d'Israël et du
"nouvel antisémitisme" et c'est vrai de la politique de tous les
pays démocratiques[1] : la façon dont les médias
construisent les faits et dont il les habille de mots s'inscrit dans la
"gouvernance" politique et interdit toute vision critique de la
réalité: tout réalisme.
Ces opérations de langage ne sont pas en fait purement manipulatoires, elles s'adossent à une conception idéologique, celle du "post-modernisme"[2]. Dans ses présupposés, ce dernier implique, entre autres choses, le déni radical de la réalité de la nation (qui, cependant, ne cesse pas d'exister car les peuples sont un fondement ineffaçable de l'humanité), le déni de la légitimité de l'identité nationale et des droits du citoyen face aux "droits de l'homme". Un autre de ses présupposés est la culpabilité de principe de l'Occident et l'innocence des non-Occidentaux, avec une préférence pour le monde arabo-musulman et noir. Pour intimer la censure sur toute autre perspective il instrumentalise la morale et le savoir académique.
Empaquetage
victimaire et compassionnel
Quand on pense dans ces termes-là, effectivement, il n'y
a pas d'"invasion" puisqu'il n'y a pas de nations mais uniquement des
individus et puisqu'il n'y a pas d'Etat, pas de pouvoir et donc pas de
frontières. Quant aux "migrants", ils ne sont pas considérés dans
leur identité puisqu'on ne se soucie que des "droits de l'homme", de
l'homme en général et pas des droits des citoyens qui sont toujours citoyens
d'un Etat particulier, identifié, etc.
L'empaquetage victimaire et compassionnel des faits
devient possible et crédible, en puisant dans le meilleur des sentiments
humains. Ainsi ce qui se passe ne constitue pas une crise politique et
militaire mais humanitaire. Le martyre de la traversée en mer efface le risque
pris par les immigrants et la culpabilité des passeurs mais aussi des pays qui
les laissent accomplir leurs forfaits.
Le moment clef de cet empaquetage fut sans nul doute
l'exploitation médiatique de la photo de l'enfant mort sur une plage. Elle fut
l'occasion d'un coup émotionnel répercuté à outrance par les médias qui
ressemble beaucoup à la mort supposée de l'enfant Al Dura sous les balles de
l'armée israélienne à Gaza, devenue par la grâce de France 2 l'emblème du
nouvel antisémitisme.
Le Wall Street
Journal (4 septembre) nous a appris,
cependant, les dessous prosaïques et moins glorieux de l'histoire à l'instar de
ce qui se passa pour l'affaire Al Dura: la famille de ce malheureux enfant,
originaire de Kobané, ne fuyait pas la guerre en catastrophe. Elle vivait en
Turquie depuis 3 ans où le père travaillait. Alors qu'elle devait partir pour
le Canada où la sœur du père habite, ce dernier, sur les conseils de son père,
décida d'utiliser l'argent qu'elle lui envoyait, pour passer par l'Europe afin
de se refaire une dentition gratuitement. Durant le naufrage, il était le seul
de sa famille à porter un gilet de sauvetage... L'enfant fut enterré à Kobané,
ce qui nécessitait un retour au point de départ, ce que des fuyards hagards
jamais n'auraient pu se permettre. Et pourquoi cet enfant uniquement, alors
qu'il y a des milliers de morts atroces au même moment? En sélectionnant les
images qu'ils répercutent, les médias induisent une compassion "à
tempéraments", dans une seule direction.
Redresser
la faiblesse démographique de l'Europe
Si l'essentiel de ces populations ne sont pas des
immigrants loqueteux qui quémandent un havre, qui sont-elles alors? Pourquoi se
sont-elles dirigées vers Europe et pas ailleurs? Et surtout pas vers le reste
du monde arabe? Il y a là l'aveu silencieux d'une immense défiance envers leur
propre monde, leurs "frères" (pourtant si riches, si solidaires
depuis des lustres avec la cause palestinienne) et, peut être leur religion.
Quoique...
Mais ils viennent parce que l'Union Européenne les a appelés.
Il n'y a pas que la confondante invitation allemande à rejoindre l'Allemagne
par millions qui l'illustre. Les connaisseurs des affaires européennes savent
que l'insufflation de populations immigrées s'inscrit dans le projet, très pensé depuis des lustres, de redresser
la faiblesse démographique de l'Europe par l'immigration "qui va payer nos
retraites", entend-t-on pathétiquement comme argument. Le chaos
identitaire que l'Union Européenne en position de Diafoirus est en train de
programmer s’avérera terrible. S'il conforte le pouvoir central sans identité
de l'Union, il recèle une explosion atomique dans l'ordre du symbolique et du politique pour les ex-Etats européens, auxquels ces populations poseront demain
un grave défi quant à leur continuité culturelle et identitaire. Le mépris que les économistes et technocrates
européens témoignent pour la dimension symbolique et identitaire se retournera
contre leurs constructions technocratiques décollées de la réalité. A Bruxelles
comme à Strasbourg on a perdu le sens du réel, et le réel se vengera.
Le
sens des événements
Si l'on regarde de loin et de haut ce qui se passe, avec
la mémoire des 60 dernières années,
l'événement auquel nous assistons, sidérés, n'est qu'une phase d'un
mouvement historique de grande ampleur que la vulgate de notre époque empêche
de voir. La décolonisation fut l'occasion d'un nettoyage ethnique objectif qui
chassa les populations européennes d'Afrique et du Moyen Orient, notamment. Une
répartition ethnico-religieuse des populations s'est alors réalisée. Il n'était
pas prévu (ni pensable) que les ex-colonisés devenus indépendants, plutôt que
d'assumer la responsabilité de leur nouvelle condition, suivent les
ex-colonisateurs en repli, de façon continue et soutenue. C'est ce qu'on appela
alors "l'immigration". Le repli consécutif à la décolonisation ouvrit
donc la voie à un tel développement.
Ce mouvement de populations concerna presqu'exclusivement
des populations musulmanes. De ce côté là, aussi, s'est produite une évolution
inattendue. Les nationalistes arabes auquel les puissances coloniales avaient
remis "les clefs" des pays abandonnés se sont vus submergés par la
levée en masse de l'islamisme. Il balaya les Etats nations de bric et de broc
que la décolonisation avait mis en place, au nom de la Oumma universelle.
L'adoption par les Etats-Unis d'Obama et l'Union Européenne de la cause des
Frères musulmans lors de cet effondrement que l'empaquetage médiatique nomma
"printemps arabes", acheva d'installer le chaos dans cet univers.
Ce qui arrive à l'Europe aujourd'hui est aussi le produit
direct de la politique de puissance de l'Union européenne qui s'est imaginée
qu'elle n'avait pas de frontières et qu'elle incarnait désormais la conscience
des droits de l'homme et de la démocratie, ce qui l'autorisait à s'étendre sans
fin: Turquie? Maroc? Moldavie? On ne sait pas où doit finir l'Europe et
jusqu'où son autorité doit porter. Cette ambition enivrante (le projet d'un
pouvoir moral et universel) l'a conduite à intervenir militairement en Lybie
pour installer la "démocratie", diplomatiquement en Egypte, et (à
peine) en Syrie-Irak, ne parlons pas de son obsession de la cause
palestinienne, sans doute due à sa culpabilité passée envers les Juifs, qui l'a
conduit à un activisme délirant au regard de l'importance des Palestiniens.
Le flou des frontières est le propre des régimes
impériaux, ce qui confirme en retour l'orientation anti-démocratique du pouvoir
de l'Union Européenne. Il ne faut pas oublier dans ce tableau européen
l'ambition, portée notamment par le Quai d'Orsay, d'une Europe méditerranéenne
qui fasse que "le Sud", c'est à dire le monde arabe, devienne un
allié très proche de l'UE et que des circulations de populations s'y fassent
(mais uniquement dans un sens!). De leur côté, les Américains, déjà avec les
néo-conservateurs, se sont crus autorisés à installer par tous les moyens la
"démocratie" sur toute la planète. Leurs interventions
catastrophiques en Afghanistan et en Irak, en Libye ont achevé de faire de ces
pays des champs de ruines. Elles ont fait de la Russie une ennemie.
L'afflux actuel des populations musulmanes de ces pays vers l'Europe s'inscrit ainsi dans l'ordre des choses, une fois la griserie des sommets à l'européenne évanouie. Le bilan européen est à la hauteur de son projet utopique. L'Union européenne n'a objectivement pas de frontières, ce que prouve l'irruption violente de très grandes populations, elle a affaibli les Etats, pulvérisé les nations, et été incapable de forger une entente entre ses membres sur des enjeux vitaux. On comprend qu’Israël, un Etat nation florissant, puisse tourmenter la conscience européenne et lui renvoyer l'image de sa démission mégalomane. Les Juifs ont su en premier que la corne de brume retentissait avec l'installation à demeure du "nouvel antisémitisme", du fait de la complaisance européenne, mais ils ne furent pas entendus.
L'Allemagne
syro-turque?
La division des Etats européens sur la question des
"migrants" est aussi pleine d'enseignements. Les peuples à la
conscience et à l'identité les plus fortes s'opposent avec force aux pays
"fatigués" comme l'Allemagne. Les pays d'Europe centrale, terres
d'anciennes guerres de religion, ont en effet affirmé à travers l'histoire leur
identité contre les empires qui les dévoraient (Allemagne, Autriche Hongrie,
Russie et Turquie ottomane) en la cristallisant autour de la religion, saint
des saints de leur continuité. Ce sont des populations qui savent quelque chose
du réalisme des identités. Les Etats latins se situent à mi chemin des Etats
nordiques, dont l'affaissement identitaire est bien connu depuis fort
longtemps.
Mais le cas le plus fascinant est celui de l'Allemagne
qui s'est dite prête à accueillir un afflux massif de populations musulmanes.
L'histoire retiendra la démarche politiquement irresponsable de la chancelière
qui a lancé une invitation à immigrer, susceptible de soulever une masse de
populations dans le monde et d'amplifier de façon inédite la vague
d'immigration. On parle déjà de 800 000 personnes, d’un million de personnes.
Le fait est incommensurable: Merkel programme un changement de population qui
changera la face de son pays, comme elle l'a dit elle même. On n'a jamais vu cela.
C'est un fait unique dans les annales. D'autant plus inquiétant et terrifiant:
nous nous retrouverons face à une Allemagne turco- syrienne. Un cauchemar au
regard de l'état de ces peuples aujourd'hui. N'oublions pas, pour notre part,
que ces populations viennent de pays et de cultures où la haine d'Israël et des
Juifs est universelle. La Syrie fut un des pays les plus hostiles à Israël. Sa
population a baigné dans cette hostilité au moins depuis 70 ans. Elle la
transportera en Europe.
Comment cela est-il possible? On évoque à ce propos la
terrible faiblesse démographique allemande qui devait voir le peuple allemand
réduit à la portion congrue dans les 20 années à venir, la faiblesse des
naissances ne permettant pas à la population actuelle de se maintenir en
nombre: un peuple en voie de disparition. La démographie reflète aussi l'état
des peuples. On peut penser que ce jugement porté sur soi, que révèle le refus
de faire des enfants, est en rapport avec la culpabilité découlant du passé
nazi. Et c'est sans doute cette même culpabilité envers les Juifs qui motive
l'accueil chaleureux des Syriens. C'est profondément pathétique et poignant
quand on compare avec la façon dont les réfugiés juifs ont été refoulés de
toute parts en Europe et au Moyen Orient britannique pour échapper au nazisme
avec les applaudissements qui saluent les Syriens, qui ne se comptent pas parmi
les amis des Juifs, arrivant dans les gares allemandes et autrichiennes.
Pendant
ce temps, le mouvement de l’alyah prend de l’ampleur
A ce portrait de l'Union Européenne, s'ajoute la touche
la plus terrible : récemment Mogherini, sa "ministre" des affaires
étrangères, a appelé avec 16 ministres des affaires étrangères européens à
mettre en pratique le boycott des produits israéliens étiquetés originaires des
Territoires mais qui, en fait, s'avère être un boycott pur et simple d'Israël,
lui infligeant un traitement discriminatoire qu'elle n'inflige à aucun autre
Etat du monde, dans des situations bien plus graves et parmi ses plus proches
amis: l'occupation turque de Chypre, l'occupation marocaine du Sahara
occidental. Et quid des décapitations
saoudiennes et du financement du terrorisme international par le Qatar?
"La France des droits de l'homme", bien au contraire, leur vend des
armes agressives!
Pendant ce temps-là, dans ce concert médiatique, conduit
au nom de la mémoire de la Shoah, le mouvement de départ des Juifs continue. On
entend dire maintenant que c'est le judaïsme britannique qui se prépare à
immigrer en Israël. Avant Rosh Hashana
un sondage mené dans 179 communautés juives d'Europe montrait que 85% des Juifs
ne voulaient envoyer pas leurs enfants à la synagogue pour les fêtes par
crainte pour leur sécurité. D'un côté on accueille les Syriens avec des fleurs,
de l'autre les Juifs cachent leur identité dans la rue pour se protéger de
l'insécurité.
Le chaos européen que je viens de décrire annonce quelque chose d'inquiétant et
de monstrueux. Nous sommes les témoins de la fin d'une civilisation et d'un
ordre du monde.
*À partir d'une chronique sur Radio J le vendredi 18 septembre 2015.
[1] En France, "tensions intercommunautaires", "conflit importé" furent dans cette affaire le modèle du genre. Le chef d'œuvre du genre en Israël fu la "hitnatkout" (l'"auto-coupure") pour "emballer" le retrait de Gaza.
[2] Cf. Shmuel Trigano, La nouvelle idéologie dominante. Le postmodernisme, Éditions Hermann-Philosophie (2013).