Il y a maintenant près d’un mois, le lundi 4 janvier (23 Tevet) , mon maître le Rav Yehudah Cupperman zatsal, nous a quittés, à l’âge de 86 ans, pour rejoindre la Yeshiva d’En-Haut. C’est une très grande lumière qui s’est éteinte en Israël. C’était mon Maître, toute la Torah que j’ai reçue, hormis la Torah que mon père et maître, zatsal,et ma mère et maître m’ont transmise, c’est de lui que je l’ai reçue, ou grâce à lui. Ma dette envers lui est immense, incommensurable, comme l’est celle de toutes les femmes en Israël auxquelles il a ouvert toutes grandes les portes de la Torah: de toute la Torah. Loi écrite et Loi orale. C’était un très grand maître. Un Rav, mais dans la plus noble et puissante acception du terme: un maître, un enseignant, un éducateur, un bâtisseur. Un passeur. Il s’effaçait toujours devant la grandeur de la Torah qu’il a enseignée jusqu’à son dernier souffle. Un détail? mais tellement signifiant.Il a mis un point d’honneur à ne point arborer de barbe jusqu’à un âge avancé de sa vie. Tout Rav qu’il était : il redoutait par dessus tout que l’image du Maître, l’autorité morale et spirituelle du Maître, puisse falsifier, dénaturer,altérer,introduire un biais dans la transmission.Il ne doit pas y avoir de relation de pouvoir ou de sujétion dans l’acquisition de la Torah (Kinyan Torah) que chacun se doit d’accomplir. Chacun doit recevoir la Torah directement, sans médiation, comme au Sinaï. Hommes et femmes.Il faut donner des clés, des outils, une méthode, mais chacun doit pouvoir accéder à la Torah directement.
Il n’était pourtant en rien un homme effacé: il avait une très forte personnalité, il était courageux , audacieux, exigeant, rigoureux; c’était un homme de conviction, un pédagogue exceptionnel, , un homme dynamique, doté d’un humour pétillant, voire d’une causticité dont il ne s’est jamais départi. Mais aussi attachant , foncièrement bon, attentif aux autres, et incroyablement présent. (Le chant, la musique étaient d’ailleurs parties liées de l’étude de la Torah et de la joie de l’étude. Il faisait chanter ses élèves : gewald!)
Mais il
redoutait le pouvoir que l’on peut exercer sur autrui quand on transmet la
parole divine, le fait que le Maître puisse être identifié à la parole divine.
Il était scrupuleusement attaché à la deuxième des Dix Paroles:»Tu ne te feras
point d’idoles, ni une image quelconque de ce qui est en-haut dans le
ciel...»(Exode 20,3).
Celui qui ne
signait jamais que de son prénom et de son nom sans y accoler le moindre
titre:«Yehudah Cupperman», ne voulait pas faire impression. On est là dans
l’ordre de l’image. Il a cependant marqué d’une empreinte très forte les milliers d’élèves qu’il a formées.Ce
n’est nullement contradictoire: on se situe là dans l’ordre de la pensée et de
la dialectique.
Né en Irlande,
monté jeune en Israël, formé dans les célèbres Yeshivot de Gateshead et
‘Hevron, Docteur en droit, il a commencé à bâtir très vite ce qui fut l’oeuvre
de sa vie: la Mi’hlala de Jerusalem.C’était un révolutionnaire, un visionnaire.
Il voulait permettre aux femmes de devenir des Talmidot ‘Ha’hamim, qui aient
accès à tous les domaines de l’étude juive. Avoir accès , et acquérir une
autonomie dans l’étude.
Un changement de cap radical dans l’enseignement de la Torah à l’adresse des femmes
C’est lui qui a
ouvert la voie à l’immense développement des Midrashot pour femmes. Mais en
1964, quand il a ouvert la Mi’hlala dans une pièce et demie d’un appartement du
quartier de Bayit Vagan, à Jerusalem, au 66 re’hov Hapisgah, là-même où il a
fini ses jours, il n’existait encore aucun lieu dans le monde qui permette à
des femmes d’acquérir un niveau de Torah au moins équivalent à celui qu’elles
pouvaient atteindre dans leurs études profanes. Pour le Rav Cupperman, c’était
non seulement un scandale, mais une tragédie. Il avait la conviction que la
revalorisation, et même davantage: un changement de cap radical dans
l’enseignement de la Torah à l’adresse des femmes, comme dans la formation des
enseignantes, était un enjeu vital pour l’avenir du peuple juif.
S’inscrivant dans la Tradition orthodoxe la plus exigeante,-très réticente à cette évolution-, il n’a jamais cédé d’un pouce, malgré les critiques violentes dont il fut l’objet surtout au début. Il n’a jamais plié. Dans les années 70, on pouvait encore voir fleurir dans les rues de Jerusalem et Bné -Braq, des placards vouant son institution au ‘hérem. «Ecartez-vous de la Tente du Mal», pouvais-je lire ici ou là, alors étudiante à la Mi’hala du Rav Cupperman.Fondateur, directeur et enseignant à la Mi’hlala pendant 50 ans, un Jubilé.
Son respect,
son ambition pour les femmes était sans bornes. Quand il a fondé et développé
son institution, il s’est entouré des plus grands. La qualité des maîtres était
son obsession. Pour lui le critère de recrutement n’aura jamais été la taille
ou la couleur d’une kippa, la longueur d’une barbe. Il lui était important de
recruter des femmes également, même si elles étaient encore peu nombreuses à
être habilitées à prodiguer un enseignement de Torah au plus haut niveau.. Le
critère: les meilleurs dans leur discipline. Quelles que soient leurs origines
et orientations idéologiques . Mais tous: talmidei ‘ha’hamim et yerei chamayim,
craignants D.. C’est à dire des êtres parfaitement intègres et droits , donc
totalement dignes de confiance.
Une ambition immense pour les femmes
Il a voulu pour former ces nouvelles générations de femmes: les plus grands. Issus des yeshivot «‘harediyot» ou «sionistes», comme du monde universitaire ( la Yeshiva University de New-York mais pas seulement). C’est ainsi que nous avons pu bénéficier de l’enseignement de ces grands qui ne sont plus: le Rav Morde’hai Breuer, le Rav Eberman, Beno Gross, Moshé Arendt, Yehuda Kihl et tant d’autres. Aux côtés d’autres grands Maitres en Israël, qu’ils vivent longtemps, le Rav Yeshayahou Hadari, le Rav Daniel Epstein , le Rav Chabtaï Rapoport et tant d’autres... Et Efrat Piltz , une femme, l’une des plus grandes. Mais on n’aurait pas dit à l’époque: rabbanit Piltz. Ces maîtres nous ont ouvert, ont ouvert des générations de femmes au monde de la Hala’ha, des Responsa,de la Michna et du Talmud, au Tana’h , au Midrach, à la philosophie juive, à la ‘Hassidout, et à la pédagogie.
L’ambition du
Rav Cupperman pour les femmes était immense. Il fallait que le niveau des
enseignements proposés à la Mi’hlala ( qui couvraient dès le départ d’autres
domaines que la Torah :mathématiques, biologie, linguistique, anglais etc) soit
à hauteur de celui dispensé dans les Universités. Il s’est battu jusqu’à ce que
les diplômes dispensés par la Mi’hlala puissent faire l’objet d’équivalences
universitaires.
Mais plus que
cela encore, et pour moi plus important encore que cela, son ambition était de
former des femmes autonomes dans l’étude. Des adultes dans leur vie et leur
judaïsme, au sens où Emmanuel Levinas l’entendait lorsqu’il disait : le
judaïsme est une religion d’adultes. Pas des disciples, des groupies :des êtres
libres.
Il se plaisait à dire:»Mon projet à la Mi’hlala n’est pas de transmettre une vision du monde (Hachkafat Olam, «Hachkofe»comme on dirait dans le monde ashkenaze ), mais de donner à mes élèves des connaissances et des outils pour se forger leur propre vision du monde».
Une grande
lumière s’est éteinte en Israël.
Joëlle Bernheim est Diplômée de la Mi’hlala de Jerusalem du Rav Cuppperman (Tana’h et Tochba = Torah Chébeal Pé)