Nous (1) abordons cette semaine la lecture du troisième livre du Pentateuque: le Lévitique/Vayikra. C’est un livre qui reste pour beaucoup d’accès difficile, voire rebutant dans la mesure où la trame historique en est pratiquement absente. C’est un livre qui regorge de lois et préceptes: près de la moitié des 613 commandements y sont énoncés, sans qu’ils soient pour autant mis en situation. A part le récit de l’investiture d’Aaron et de ses fils (Lév.ch. 8-10), aucune anecdote ne vient émailler cette sévère énumération de lois, qui donne à ce texte le caractère rigoureux d’un code. L’histoire des Enfants d’Israël dans le désert, qui s’était poursuivie tout au long du livre de l’Exode va rester en suspens -le temps d’un livre- pour reprendre au début du livre des Nombres. «Tels sont les commandements que l’Eternel donna à Moïse pour les enfants d’Israël, au Mont Sinaï»(id. 27,34) pourrait bien être le titre du livre, -s’il n’en constituait le dernier verset...-, car il en résume bien le propos exclusif.
Bien plus, le caractère éventuellement rebutant de ce livre composé uniquement de lois, est renforcé par le fait que nombre de ces lois ne nous concernent plus directement. D’ailleurs, n’a-t-il pas été dénommé également «Code Sacerdotal» (Torat Cohanim), dans la mesure où les rites concernant exclusivement les prêtres dans l’exercice de leurs fonctions, y occupent une large place? Les chapitres traitant des lois relatives au culte sacerdotal, au culte sacrificiel, aux rituels de purification, qui ne sont plus liés à des pratiques actuelles, constituent plus de la moitié du livre. L’énoncé des «lois de sainteté» qui nous concernent plus directement, en occupent une autre moitié. Toutes ces prescriptions sont présentées avec un luxe de détails très techniques, qui rendent leur accès encore plus difficile et contraignant, et achèvent souvent de décourager le lecteur peu entreprenant!
Enfin, les
ordonnances relatives aux sacrifices, qui ouvrent le livre, et se poursuivent
sur sept longs chapitres (id.ch.1-7), constituent pour certains un obstacle
psychologique majeur, la notion même de sacrifice leur étant tout à fait
étrangère, voire inacceptable. Le culte des sacrifices leur pose un problème de
fond, qu’il leur faudrait élaborer, avant que de pouvoir songer à aborder le
texte avec un minimum de sérieux et de rigueur.
Principe d’indissociabilité de la loi écrite et de la loi orale
Or, contrairement à ce que toutes ces remarques auraient pu laisser augurer, il faut savoir que le peuple juif a toujours privilégié le livre de Vayikra dans l’ordre de l’étude. C’est par lui qu’on toujours fait aborder l’étude de la Torah aux tout jeunes enfants.C’était -à l’époque talmudique en tout cas- le livre populaire par excellence (2), le plus étudié,les autres livres de la Torah n’étant nommés qu’en référence à celui-ci. Ceci est évidemment lié au fait que la préoccupation première en Israël a toujours été celle de la pratique des Mitzvot (4): ce livre étant une véritable somme de Mitzvot, on s’est d’abord attaché à celui-ci. Priorité avancée sur le faire. Le souci de compréhension n’est pas écarté, mais il apparaît comme second (5). La réflexion n’est légitime en quelque sorte, qu’ancrée dans une pratique vécue. Mais pour justifier la place du Lévitique dans l’ordre de l’étude, il convient d’invoquer un autre motif encore. Ce livre est au coeur de l’étude en Israël, et constitue peut-être son domaine le plus spécifique, parce qu’il consacre le principe d’indissociabilité de la loi écrite et de la loi orale (6). Le livre de Vayikra sans l’apport de la Tradition orale , est un livre qui reste fermé.
Tandis que les
autres livres de la Torah se prêtent éventuellement à une lecture «naïve»,
jusqu’à se constituer assez aisément comme héritage universel, le livre de
Vayikra appelle la Tradition orale pour pouvoir être compris. Et ceci non
seulement par rapport à la recherche d’une signification des rites et des lois,
mais aussi dans la perspective d’une pratique. En effet les prescriptions sont
présentées ici de telle manière, que sans l’apport de la Tradition orale nous ne
saurions même pas les appliquer. Cette dernière nous indique les modalités
d’application de ces lois qui sont souvent à peine indiquées dans le texte.
Suggérées par un mot, une expression quelquefois, comme de simples têtes de
chapitre.
Mais inversement les mots par lesquels les lois sont énoncées dans Vayikra, constituent comme la matrice, le principe générateur, la clé de tous les développements propres à la loi orale. Sans la Torah, la loi écrite, la loi orale nous resterait également fermée.C’est en ce sens que le Midrach (7) nous dit que le verset de la Genèse «Et D. vit que la lumière était bonne» (Genèse 1,14), fait référence, et nous indique la fonction même du livre du Lévitique. Car ce livre qui est «tout plein de lois nombreuses» est à la source même de la Tradition orale, et en même temps projette sur elle une lumière vive, qui constitue tout son sens.
(1)
Ce texte s’appuie entre autres sur
l’introduction au livre de Vayikra de Rabbi Naftali Tsvi Yehudah Berlin
(1817-1893) dan son ouvrage Heemek Davar , ainsi que sur l’introduction au
livre de Vayikra du Rabb. Dr David Hoffmann (1843-1921) dans son ouvrage sur le
Lévitique.
(2)
Safra dabei Rav, cf massé’het ‘Houlin 66a, et
commentaire de Rachi à cet endroit
(3)
Chear Sifrei dabei Rav id
(4)
Commandements, prescriptions
(5)
cf Exode 24,7
(6)
En effet, pour la Tradition juive, loi écrite et
loi orale ont été trransmises ensemble à Moïse sur le Mont Sinaï, Une partie de
cet enseignement a été mis par écrit par Moïse pour constituer le Pentateuque,
la Torah; une autre partie a été
transmise oraement de génération en génération jusqu’à sa consignation écrite,
partielle dans le Talmud notamment
(7)
cf Midrach Rabba 3,5