Actualité Juive : Vous écrivez : « Ce roman vrai est un vrai roman »…
Patrick Rotman : La toile historique et les affaires politico-judiciaires qui sont évoquées sont très proches de la réalité, y compris les documents qui sont vrais.
A.J.: A travers le narrateur, le lecteur est plongé dans une ambiance de polar, entre « Du rififi à Paname » et « Flic ou voyou » !
P.R. : Au-delà de la trame policière ou du roman d’espionnage, je voulais faire un roman d’époque, dans ce Paris des années 50, période peu explorée, « coincée » entre les années noires de guerre et les années 60 qui ont vu l’arrivée de la modernité et de la jeunesse.
A.J.: Les bureaux de l’Express accueillaient-ils, tels que vous les décrivez, l’aristocratie artistico-politico-littéraire de l’époque ?
P.R. : Jean-Jacques Servan-Schreiber, François Giroud et Simon Nora avaient voulu faire l’Express pour ramener Mendès France au pouvoir. La collusion presse-pouvoir…Très vite, le journal est devenu ce creuset où se retrouvaient des artistes, des politiques et des membres de cabinets.
A.J. : Vous soulignez le modèle d’intégrité incarné par Pierre Mendès France, conscient qu’on allait l’accuser d’être « le Juif bradeur d’empire »…
P.R. Ce sont ses propres mots.
A.J. : Beaucoup, pour reprendre ceux de l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, voulaient
« la peau du juif »…
P.R. : Mendès-France cristallisait les haines de la droite colonialiste et de l’extrême droite. La connotation violemment antisémite y était très forte. Il était le juif qui allait trahir. C’est du même ordre que les mots de Darquier de Pellepoix quand Blum est devenu président du Conseil. A l’antisémitisme s’ajoutait, pour Mendès, la détestation de son intégrité, de sa modernité et de sa volonté de décoloniser.
« L’Express a été voulu pour ramener Mendès France au pouvoir »
A.J.: Il fut traité de « sale youpin » par Jacques Duclos et de « petit juif marchand de tapis »
par des députés communistes. Les insultes antisémites avaient-elles ainsi cours au PC ?
P.R. : Tout cela est rigoureusement authentique. Je ne me serais pas permis de leur prêter ces propos qui font écho à l’antisémite d’Etat de l’Union soviétique.
A.J.: L’homme à histoires de la IVe République, c’est François Mitterrand, séducteur impénitent pétri d’ambition…
P.R. : C’est la quintessence de l’ambition. C’est un homme jeune au passé sulfureux dont tout le monde pressent l’avenir.
A.J.: N’avait-il pas déjà cette faculté de s’entourer ?
P.R. : Il a eu cette capacité de susciter des fidélités inconditionnelles chez les Bons Pères, au Stalag, à Vichy… Sa grande force a été de cultiver ces cercles sans qu’ils se télescopent.
A.J. : Le livre détaille l’affaire des fuites, l’attentat de l’Observatoire et le rôle répressif de François Mitterrand dans les premières mesures pour le maintien de l’ordre en Algérie…
P.R. : Lorsque le gouvernement Guy Mollet fait voter des pouvoirs spéciaux et le dessaisissement de la justice civile au profit de la justice militaire en Algérie, Mitterrand, alors Garde des Sceaux, l’accepte. Jean Lacouture m’a dit que c’était le seul point pour lequel il a eu des regrets. Il a, dans cette affaire, privilégié sa carrière.
A.J.: Sa réputation sulfureuse tient également aux rumeurs (infondées soulignez-vous) sur son appartenance à la Cagoule ainsi qu’à l’obtention, avérée, de la Francisque…
P.R. : Et je montre que son cabinet de 1954 fonctionne avec des hommes issus de Vichy. Jean-Paul Martin, personnage méconnu, était le bras droit de Bousquet à Vichy ; Jacques Saunier y était le numéro deux des Renseignements Généraux. Que Bousquet ait rendu des services faisait « oublier » qu’il avait été responsable de la déportation de plus de 70 000 juifs. De nombreux lecteurs sont frappés par le fait que, dix ans seulement après la guerre, se trouvaient, Place Beauvau au Cabinet du ministre de l’Intérieur, des anciens de Vichy. l
Patrick Rotman, « Un homme à histoires », Seuil, 560 pages, 21euros.
Patrick Rotman : « Le cabinet de François Mitterrand fonctionnait avec des anciens de Vichy »
Par Carol Binder Le 20/04/2016 à 20h30 Rubrique Culture/Télé

L’écrivain et réalisateur Patrick Rotman n’aime rien tant que révéler la complexité des êtres à travers la complexité de l’histoire. Son dernier livre « Un homme à histoires », fresque politico-médiatique des années 50, en est une illustration magistrale.
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