Karine Lemarchand. Depuis presque une semaine, le nom de l’animatrice télé est sur toutes les lèvres. Une évidence, tant la nouvelle émission de celle qui s’était jusque-là distinguée en présentant le reality show « L’amour est dans le pré », mêle habilement la politique, un peu, à l’intime, beaucoup. Le principe d’« Une ambition intime » est simple : recevoir les différents candidates et candidats à la prochaine élection présidentielle dans un cadre détendu où il sera davantage question de parler d’eux-mêmes que de leurs programmes. Sous l’animal politique, il y aurait donc de l’humain ? Une porte ouverte que Karine Lemarchand enfonce avec un brio certain, soutenue qu’elle était par une réalisation forçant le trait sur l’émotion : des rires, des larmes retenues, de la séduction amusée – le tout, accompagné par des chansons que ne renierait aucune émission de divertissement.
Et c’est là que le bât blesse. « Une ambition
intime » joue sur la faiblesse du politique où un discours à la rhétorique
bien huilée prévaut sur le sens dont il est porteur. Si l’élection
présidentielle ne désigne pas un programme désincarné, elle ne désigne pas pour
autant une femme ou un homme « normal(e) », mais une Présidente ou un
Président. L’émission de Karine Lemarchand use donc et abuse de cette ambiguïté.
On aura pu découvrir un Nicolas Sarkozy très attaché à Bernadette Chirac, un
Arnaud Montebourg fan de Claude François, ou encore un Bruno Lemaire amateur de
bonne chère pour exorciser la fragilité de l’existence. En somme, des personnes
communes ayant des affects ; des personnes qui aiment leurs familles, qui
ont des blessures secrètes, et des envies partagées par le tout-un-chacun. Une
« peoplisation » assumée pour que les Français puissent s’identifier
à eux.
Mais le point d’orgue de la soirée était indéniablement la demi-heure consacrée en fin d’émission à Marine Le Pen. On a pu découvrir les petits plaisirs de la présidente du FN – dont son amour des fleurs, elle a même avoué « dealer des boutures avec un ami » (sic) –, ses souvenirs d’enfance douloureux – le départ précipité de sa mère, la difficulté qu’il y avait à être la fille de Jean-Marie Le Pen lorsque l’immeuble où elle a habité ses quinze premières années fut la cible d’un attentat à la bombe, ou encore l’ostracisme qui lui avait été imposé par certains professeurs et camarades d’école… Une peinture vive, presqu’impressionniste, avec en fond sonore, des chansons allant de Queen à Joe Cocker en passant par Jimmy Cliff. Et comme le dit si bien le groupe R.E.M., « Everybody hurts sometimes ». Interloquant. Et il devait d’ailleurs être bien insensible le téléspectateur qui n’aurait alors éprouvé aucune empathie envers Marine Le Pen.
Dans cet océan sucré, une scène
surréaliste aura surnagé : Karine Le Marchand et Marine Le Pen trinquant
au vin blanc - l’animatrice demandant à quoi trinquer, la politique répondant simplement
« à la vie », transformé en un « Le’haïm » ( !) par
l’animatrice. Une petite provocation pouvant passer dans le climat très détendu
de l’émission pour une boutade entre amies. Ce qui se voulait subtil n’était en
fait qu’humour gras de la part de l’animatrice.
Bien sûr, Karine Lemarchand pourra affirmer qu’elle
a davantage évoqué les « questions politiques qui fâchent » avec la
présidente du FN qu’avec les autres candidats. Marine Le Pen aura d’ailleurs su
tirer son épingle du jeu, faisant passer le message qu’elle préfère que l’on s’oppose
ses idées plutôt qu’à leur caricature. L’animatrice a été vivement critiquée. Son
« copinage » avec la présidente du FN aura déplu. Surtout, l’absence
de mise en perspective de certains événements évoqués, aura montré qu’« Une
ambition intime » s’est contentée de dérouler de l’affect, et de faire
pleurer dans les foyers. Avec un mot d’ordre : voter pour le personnage le
plus sympathique, pas nécessairement le plus compétent. M6 peut se frotter les
mains : « Une ambition intime » a fait mieux en terme d’audience
que la nouvelle émission politique de France Télévisions.
A partir de 1975, Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, allait s’inviter à dîner dans des foyers afin, disait-il, « de regarder la France au fond des yeux ». Avec « Une ambition intime », ce sont les Français qui peuvent aujourd’hui avoir l’impression de regarder le fond des yeux de leurs candidats. Qu’ils sachent qu’un œil contient tout au plus des larmes - jamais de la pensée, ni de projet. C’est que des grandes messes des meetings jusqu’à l’exercice public de la confession, la politique croit triompher en se réchauffant et en se mettant à nu. Encore que pour la suivre, il faille avoir l’illusion que le néant tienne lieu de chair.