Quel horizon pour les Juifs dans la campagne électorale? S'il n'y a pas de "vote juif", les Juifs votent et ils doivent se déterminer en fonction de leurs intérêts. La plus grave question pour eux (comme pour la France), c'est la place et la nature que finira par acquérir l'islam en France. Trois raisons l'expliquent. Tout d'abord, une raison qui a à voir avec l'image et la condition de communauté. Ce n'est un secret pour personne que l'accusation de "communautarisme" lancée contre la communauté juive est apparue en même temps que la "communauté de l'immigration" apparaissait et devenait un problème, à la fin des années 1980. L'affaire du voile, la même année que le Bicentenaire de la révolution française, donnèrent voie à un néo-républicanisme qui assimila de façon irrésistible la communauté juive à une population nouvelle venue, ce qui représenta une sorte de dénationalisation symbolique rampante. Cette équivalence indue lia sur la longue durée "les deux communautés" (non nommées) selon l'expression insidieuse de Mitterrand lors de la première guerre du Golfe.
La deuxième raison, c'est que le statut religieux objectif
de l'islam - une religion qui n'est pas passée par la réforme napoléonienne - déstabilise
les autres religions et de façon négative, car les demandes non maîtrisées des
musulmans, à la portée considérable du fait de leur nombre, conduit l'Etat à
diminuer les facilités accordées aux religions concordataires, sous prétexte de
ne pas faire de différences. L'arrivée de l'islam a ainsi fait régresser leur
statut acquis depuis la deuxième guerre mondiale (la "laïcité
ouverte"), sans compter que le pouvoir a fait preuve de parti-pris et de
partialité avec des déclarations quasi-théologiques comme celle prononcée par
Hollande devant le parlement tunisien sur "l'islam soluble dans la démocratie",
conférant ainsi à cette religion un quasi-statut de "religion la plus
favorisée".
La troisième raison a été démontrée par le nouvel
antisémitisme des années 2000: c'est l'islamisme qui l'a inspiré. Trois raisons
donc: morphologique et sociétale, religieuse, politique et sécuritaire.
Une raison supplémentaire doit être prise en
considération, de nature idéologique: le drapeau palestinien est devenu
l'emblème d'une identité arabo-musulmane en France tandis qu'il remplit pour
l'extrême gauche le rôle de l'ancien Prolétariat. La convergence des deux courants donne l'"islamo-gauchisme",
dont le clash avec la communauté juive est potentiel. On aurait tort de croire que la cause d'Israël est secondaire pour les Juifs de
France: elle est capitale sur le plan symbolique et elle fournit l'excuse aux
nouveaux (et si anciens) antisémites de prétendre qu'ils ne seraient
qu'anti-sionistes.
Regardons, à ce propos, l'atmosphère générale dans les
médias, l'intelligentsia, sur les campus, dans une partie importante du monde
politique: elle n'est pas amicale envers Israël et tout ce qui est en rapport
avec lui. Par ailleurs, la gestion du terrorisme après avoir été délaissée très
longtemps par les socialistes est purement "compassionnelle" et
sécuritaire mais non politique alors que l'antisémitisme est un fait politique.
Sur tous ces plans, le choix possible est celui du
moindre mal. Sur le plan du PS, l'affaire est entendue. C'est le camp qu'il
faut fuir dans tous ses aspects, non seulement en fonction de son passif de 30
ans, mais encore du projet sectaire et utopique de son représentant. Le joker
le plus terrible dans le jeu dramatique de ces élections, c'est Macron, non
seulement émanation par excellence du hollandisme mais aussi l'inconsistance et
la vacuité personnifiées. Son discours à Alger laisse par ailleurs prévoir le
pire sur les questions qui concernent directement les Juifs. Avec lui la France
entrerait dans le brouillard. Non, je ne vois qu'une seule possibilité, celle
des Républicains sous la houlette de François Fillon, en souhaitant qu'il ne se
sarkozyfie pas, une fois au pouvoir.
Il faut que la France soit de retour pour que puisse se maintenir l'identité juive qui a choisi la continuité dans ce pays plutôt que le départ. Car le départ est aussi un choix valable devant un état de fait socio-politique et idéologique qui deviendra probablement une impasse structurelle pour la condition juive dans l'avenir. L'identité juive d'après guerre s'était adossée à la centralité de l'Etat et à l'identité culturelle de la France mais aussi au sionisme et à Israël, pour poser son existence. Le multiculturalisme lui a été fatal.
*Chronique sur Radio J, le 10 mars 2017.