Actualité Juive: Où en est le débat sur l’abattage rituel ?
Grand rabbin Fiszon : Un Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb) dont je fais partie comme représentant du Consistoire, mène actuellement des travaux. J’ai été à ce titre auditionné le 15 mai pour défendre la che’hita, l’abattage rituel juif. Le centre de gravité des débats actuellement n’est plus à Bruxelles mais à Paris, suite au scandale des abattoirs qui a donné lieu à la mise en place de la commission d’enquête présidée par Olivier Falorni. Celle-ci avait appelé, dans l’une de ses conclusions, à la mise en place de la commission nationale d’éthique pour les abattoirs dont les travaux ont démarré en septembre dernier. Les recommandations seront présentées en début de l’année 2019 au ministre de l’Agriculture et aux parlementaires. S’il reviendra ensuite aux politique de décider de les suivre ou pas, on perçoit d’ores et déjà un fort engagement du politique sur cette question.
A.J.: Qui compose ce Comité national ?
G.R. F. : C’est une émanation du Conseil national de l’alimentation (CNA). Il est présidé par Jean-Luc Angot, l’un des principaux vétérinaires au sein de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), les services vétérinaires de l’Etat. Son adjoint est le professeur Pierre Le Neindre, un éminent biologiste qui avait été à l’origine de la publication par l’INRA, en 2009, d’un recueil de recherches sur le bien-être animal au moment de l’abattage. Ce document montrait que les temps de perte de conscience après l’abattage rituel étaient relativement acceptables : quelques secondes pour les volailles, 14 secondes pour les ovins, une trentaine de secondes pour les bovins. La douleur de l’animal n’étant pas mesurable, on considère qu’à partir du moment où il perdu conscience, l’animal ne souffre plus. Il est même possible que la douleur se soit estompée à mi-parcours du temps de perte de conscience.
A ce conseil siègent également des scientifiques, des représentants des cultes juif et musulman, des professionnels (représentants des abattoirs, éleveurs, opérateurs, etc.), ainsi que des représentants d’organisations de défense des animaux : la Fondation Brigitte Bardot, l’OABA (œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir) et le WWF. Les organisations hostiles à la consommation des animaux ne sont pas néanmoins invités à participer aux débats.
A.J.: Le rapport de l’INRA distingue-t-il la che’hita de l’abattage suivant le rituel hallal ?
G.R. F. : Non et c’est un peu préjudiciable. Mais ce rapport très important constitue la base de travail sur laquelle nous nous appuyons aujourd’hui au sein du Comité national. Il pointe notamment qu’il existe malheureusement un certain pourcentage d’ « échecs » dans l’abattage rituel, ce que l’on appelle un faux anévrisme, soit la rétractation des carotides sectionnées qui empêche le sang de s’écouler. Le sang va ainsi stagner dans le cerveau, l’animal perdant conscience par conséquent plus tardivement, avec des douleurs accrues. Le taux d’échec est de 17 à 18% concernant l’abattage rituel, même si l’on ne connaît pas la part relative du cacher dans ce total. Nous devons continuer à mener des investigations dans ce domaine pour améliorer nos pratiques.
«Les trois types d’étourdissement préalables connaissent des faiblesses»
A.J.: Que répondez-vous aux organisations de défense des animaux soutenant l’étourdissement systématique des animaux avant abattage ?
G.R. F. : Selon le rite juif, il est impossible que l’animal soit étourdi au préalable. Certains pointent nos faiblesses en matière de souffrance des animaux. Les trois types d’étourdissement préalables connaissent pourtant de nombreuses faiblesses. 1) L’étourdissement par tige perforante dans la boîte crânienne : douloureuse, cette méthode rencontre un taux d’échec de 14 à 15% chez les bovins. 2) L’étourdissement par électronarcose : l’animal est électrocuté pour le tétaniser. Cette pratique, plus rapide et donc plus rentable, est surtout présente pour les moutons et les volailles. Selon des études néo-zélandaises, le taux d’échec pour les moutons varie de 2 à 54%. Les volailles qui sont accrochés vivantes à un rail, tenues par les pieds, sont plongées dans un bain électrifié. Mais toutes ne parvenant à être trempées dans celui-ci, il en résulte que certaines soient saignées, parfois de manière brutale, en étant toujours conscientes. 3) La dernière méthode, la pire à mes yeux, est l’asphyxie par gaz carbonique.
Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une bataille d’experts. Nous nous appuyons pour notre part sur des travaux américains des professeurs Joe Regenstein, de l’Université de Cornell Etat de New-York et Temple Grandin de l’Université du Colorado.
A.J.: L’abattage rituel est-il votre seul cheval de bataille ?
G.R. F. : Nous rencontrons une autre difficulté, celle concernant l’étiquetage. Sur une centaine de bêtes abattues, le taux d’animaux déclarés cacher après la bedika qui suit la ché’hita varie entre 30 et 70%. Ces carcasses non retenues après vérification retournent alors dans le circuit général. Nos détracteurs, favorables à l’étiquetage, nous opposent qu’ils refusent de consommer nos « rejets », soit pour des raisons éthiques soit en raison du respect de la laïcité.
Si la proposition de préciser sur l’étiquetage la mention « abattu sans étourdissement » était adoptée, cette viande deviendrait invendable. On constaterait alors une forte augmentation des prix de la viande cacher et les fournisseurs pourraient ne plus être intéressés de fournir le circuit cacher. Autrement dit, on se trouverait devant un étranglement économique.