Actualite Juive : Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire de Rachel Bluwstein et vous a poussé à lui consacrer une biographie ?
Martine Gozlan : Je suis passionnée par les aubes d’Israël. En écrivant ma biographie de Hannah Szenes (« L’étoile foudroyée », L’Archipel 2014), héroïne assassinée à Budapest en 1944, j’ai découvert qu’elle avait appris l’hébreu avec les poèmes de Rachel, qui était de la génération précédente puisqu’elle est née en 1890 et morte en 1931. J’ai donc à nouveau remonté le temps pour faire revivre le destin de la première poétesse de l’hébreu moderne. Son histoire concentre à la fois la beauté et l’âpreté de la seconde alya, majoritairement russe, et le travail sur la langue hébraïque, vecteur de l’unité de la nation en train de se forger. Et puis Rachel est une femme libre, elle a aimé et été aimée. Passionnément sur une terre de passions.
A.J.: Laquelle de ses œuvres nous conseillez-vous de découvrir ? Pourquoi ?
M. G. : Si on veut la lire en français, nous avons la chance d’avoir son œuvre désormais intégralement traduite par un poète, Bernard Grasset (rien à voir avec la maison d’édition !) tombé littéralement amoureux de ses textes. Il faut commencer par le recueil « De loin » (Arfuyen, 2013) où on retrouvera avec émotion le chant adapté par tous les musiciens israéliens : « Vé oulaï », « Et peut-être...Et si ce n’était qu’un rêve... » C’est ce qui a inspiré le titre de mon livre. Tout Rachel est là : dans ce flottement existentiel. Sur la terre d’Israël, en l’aimant et en la bâtissant – elle fut une pionnière de Galilée- peut-on vraiment saisir ce lieu ? Porté dans l’âme juive depuis la nuit des temps, c’est un lieu exceptionnel et, quelle que soit la trivialité et la violence du quotidien, l’invisible, l’impalpable flotte dans l’atmosphère. C’était le rêve de Rachel il y a cent ans et il continue.
A.J.: Vous écrivez que « ses textes sont et ne sont pas Israël ». Que voulez-vous dire par là ?
M. G. : Comme reporter, je me suis rendue en Israël plus d’une centaine de fois en vingt-cinq ans. J’ai enquêté sur tant de réalités et de conflits, tant de deuils ! Mais, à chaque moment, m’accompagnait l’autre Israël, celui du rêve et de la volonté, celui qui explique le dynamisme et l’optimisme de ce pays bouleversant. Il y a 100 ans Rachel vit et écrit cette dualité. Imagine-t-on la misère de la vie des premiers pionniers ? Il y a beaucoup de photos d’archives dans mon livre, j’y tenais. Rachel a été très pauvre, elle habitait une chambre étroite à Tel-Aviv, au 5 rue Bograshov. De sa fenêtre, elle observait la foule. Elle était au cœur du pays aimé et, en même temps, elle le reconstruisait dans son esprit et ses poèmes. Voilà Israël : une reconstruction permanente. Une ténacité insatisfaite. Rachel en est toujours le visage et la voix.
Martine Gozlan, « Quand Israël rêvait - La vie de Rachel Bluwstein », Cerf, 240 p., 19,00 euros