Ce verset à la fois énigmatique et anodin, est bien la preuve du principe énoncé plus haut. L’histoire des nations ne rapporte, en général, que les faits marquants qui déterminent son passé. Les détails ne relèvent que de l’anecdote. Pour la Torah, il en va tout autrement : si un détail est rapporté dans le texte en côtoyant un fait remarquable, c’est l’indice, pour le lecteur que tous deux ont une valeur éternelle qui sera l’objet de toutes les attentions. Et si la Torah nous rapporte aujourd’hui que Yaakov construisit pour lui une maison et fit pour son bétail des cabanes, il est donc certain que ces précisions doivent nous interpeller.
Un équilibre fragile
Pour comprendre ce verset, il faut le lire comme un ensemble : ce ne sont pas les deux constructions en elles-mêmes qui présentent un intérêt, mais c’est le fait qu’elles sont rapportées en parallèle, dans un même verset. La Torah nous donne ici une directive générale de la vie juive. L’existence d’un Juif se compose de deux orientations : sa spiritualité et ses préoccupations matérielles. La première orientation recouvre l’étude de la Torah, la pratique des mitzvoth et la prière. Quant à la seconde, elle englobe le souci du gagne pain, l’habillement, le choix et l’entretien d’une maison et plus généralement la vie en société. Le défi de l’existence juive réside dans la place à accorder à ces deux domaines d’action ou plus exactement à quel domaine donner la priorité. Et cette question trouvera une réponse avec notre verset. Le texte précise que Yaakov construisit pour lui une maison. Yaakov, ici, c’est la spiritualité et pour ce domaine, il construit une maison, c'est-à-dire un lieu qui évoque avant tout la fixité et la solidité. En tant que Juif (symbolisé par Yaakov), nous devons agir sur ce modèle : mettre toute notre énergie et nos volontés dans l’étude de la Torah, la prière et la pratique des commandements, en qualité comme en quantité. Mais il faut prendre ses distances avec le monde matériel. Comme Yaakov qui, pour son bétail (la matérialité), construisit des cabanes, une demeure fragile, sans importance pour signifier que ce domaine de l’existence ne doit pas prendre une place prépondérante. Certes, il faut être occupé par la matérialité mais pas préoccupé, afin que cette matérialité ne porte pas préjudice à la spiritualité.
Dès cinq ans
Pourquoi doit-il en être ainsi ? On peut donner beaucoup de réponses mais nous ne retiendrons que celle qui se place sur le registre de l’éducation. On ne se construit pas avec l’intérêt ou la passion pour le bien-être matériel. L’homme ne vient sur terre que pour travailler et améliorer ses traits de caractère défectueux. Or, en mettant sa tête et son énergie dans la matérialité, il ne se construira pas mais ne songera qu’à tirer profit du monde et de ses plaisirs. Ce qui n’est pas le cas pour la prière et l’étude de la Torah. Grâce à elles, l’homme se construit mentalement et peut transmettre des valeurs à ses enfants pour qu’ils construisent à leur tour leur avenir. On rapporte que la maison du Maguid de Mézeritch (2) fut détruite par un incendie alors qu’il n’avait que cinq ans. Devant les ruines de la maison, sa mère se mit à pleurer. L’enfant s’en étonna et demanda à sa mère s’il y avait lieu de pleurer pour un objet matériel. « Je ne pleure pas pour la maison, lui répondit sa mère mais parce que dans le feu a brûlé notre arbre généalogique qui remontait à Rabbi Yo’hanane Hasandler, l’un des disciples de Rabbi Akiva ». « Ce n’est pas grave répondit l’enfant, on recommencera avec moi ! »
Notes :
(1) Chap. 33, verset 17
(2) Le successeur du Baal Chem Tov à la tête du mouvement hassidique