La commémoration, chaque année, en Israël, de la liquidation des communautés juive du monde islamique, devrait être l'occasion d'une réflexion approfondie sur le destin juif contemporain. Cette histoire, absente de tous les livres, est le chaînon manquant de la compréhension du conflit dans lequel Israël est engagé : occultée dès ses origines par les élites politiques et académiques israéliennes. On a célébré l'Alyah massive de cette population en ignorant ce qui l'a précédé, pas seulement depuis le 29 novembre 1947, date de la partition du pays et la création de deux Etats mais depuis toujours et plus spécialement depuis le début du XIXe siècle quand les peuples premiers de l'islam, ceux qui vivaient dans ces territoires ont commencé à recherché leur indépendance alors que l'Empire ottoman entamait son déclin.
On a cru voir en elle un appel « messianique », c'est-à-dire irrationnel, religieux, mais on a gommé son envergure politique et internationale. Il est question de la fin de 11 communautés, dans une zone géographique considérable, du Maroc à la Perse, de la Turquie au Yémen, de 900 000 personnes jetées sur les routes de l'exil dont 600 000 ont trouvé refuge et citoyenneté en Israël, sur une période de 30 ans, de 1940 à 1970. On ne comprend pas cette occultation. Elle s'est en effet avérée desservir l'image d'Israël au fil du temps. Les post sionistes fustigent l'illégitimité congénitale d'Israël son « péché originel » - parce qu'il aurait chassé de son pays un peuple innocent pour s'installer à sa place.
Aujourd'hui c'est cette raison qui fonde la pseudo-moralité du boycott d'Israël, le BDS, par-delà sa longue histoire de la Nuit de cristal nazie au boycott arabe jusqu'au boycott soviétique. Dans toutes ses versions, le boycott vise à un bannissement mortel d'Israël : c'est l'esseulement d'Israël qui précède le coup fatal à lui porter. Aujourd'hui, le récit de la Nakba occulte celui de la liquidation des communautés sépharades (qui n'a même pas de dénomination !), prouesse de mensonge en ce qu'il travestit l'échec d'une guerre d'extermination d'Israël lancée par les Palestiniens et leurs alliés arabes en une tragédie de l'envergure de la Shoah.
Sur le plan de la conscience et de la politique juive, il faut comprendre qu'il y a un lien intrinsèque entre les trois séquences où le destin collectif du peuple juif s'est joué : en Europe où les Juifs de toutes les nationalités ont été exterminés comme un seul peuple unique. En AFN et au Moyen Orient où les Juifs de 11 pays ont été chassés, brutalisés exclus en masse. En « Palestine » où s'est créé l'Etat d'Israël, où non seulement les deux populations massifiées de Juifs se sont retrouvées mais où s'est créé aussi un destin collectif cette fois-ci positif et non plus tragique (Europe) ou dramatique (monde musulman). Dans ces trois événements, c'est la dimension collective et politique qui se joue. Et qui reste toujours en jeu dans l'arène internationale aujourd'hui.
Sur le plan historique, les trois événements sont adossés les uns aux autres, pas seulement dans le temps mais aussi dans les faits. Le personnage du mufti de Jérusalem, chef du nationalisme arabe, parrain de son islamisation, dignitaire du régime nazi, fondateur d'une légion SS dans les Balkans, d'un régime pro-nazi en Irak, le mufti qui projetait de construire des fours crématoires en Samarie, illustre cette connexion. Il ne fut pas le seul car les leaders du nationalisme arabe ont quasiment tous cherché le soutien de l'Allemagne contre la France et l'Angleterre coloniales. Le sionisme a une histoire qui n'est pas seulement européenne mais est aussi moyen-orientale. Est-ce un hasard que le premier penseur de l'idée sioniste fut, avant Herzl, le rabbin sépharade Alkalaï de Sarajevo dans les Balkans, une région où les Grecs gagnèrent dès 1829 leur indépendance contre l'Empire ottoman et ouvrirent la voie au mouvement des nationalités parmi les peuples premiers, Grecs, Arméniens, Syriens et Juifs qui ne voulurent pas redevenir des dhimmis, une fois libérés par le pouvoir colonial ?