Actualité Juive Madame la ministre, la décision du 19 décembre déclarant l’assassin de Sarah Halimi irresponsable pénalement a provoqué un vif émoi. À quoi bon reconnaître un crime antisémite s’il n’est pas sanctionné ?
Nicole Belloubet : J’ai été particulièrement touchée par l’horreur du meurtre de Mme Attal-Halimi et je comprends véritablement l’émotion suscitée par ce crime. L’État de droit est une garantie et une protection de la démocratie et de l’exercice de nos libertés mais je ne me contente pas de « me ranger » derrière cette notion. Je suis Garde des Sceaux et depuis le la loi du 25 juillet 2013, il est interdit au ministre de la Justice d’adresser aux procureurs de la République des instructions dans des affaires individuelles. Cela offre des garanties aux citoyens contre toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales, et ne laisse ainsi plus place au soupçon de pressions partisanes. Cette affaire est actuellement en cassation. Et je ne peux donc pas m’exprimer sur une affaire en cours.
Je peux cependant vous préciser qu’à l’issue de l’instruction, une audience publique s’est tenue devant la cour d’appel de Paris dans le cadre instauré en 2008 lorsque se pose la question de l’irresponsabilité pour trouble psychique de l’accusé.
Au terme de celle-ci, les juges ont expressément constaté le caractère antisémite du meurtre de Mme Attal-Halimi.
Cette audience a également été l’occasion pour l’ensemble des parties de débattre contradictoirement et publiquement des conclusions rendues par les psychiatres. Six experts psychiatres sur sept considéraient que l’accusé était irresponsable au moment des faits.
La Cour a suivi ces expertises et a estimé que le suspect ne pouvait être condamné pénalement.
A.J.: Si en France on ne juge pas les fous, peut-on les interner alors qu’ils ne le sont pas ?
N. B. : Fumer du cannabis ne donne pas un permis de tuer, pour reprendre une expression que j’ai souvent entendue ces derniers jours. Cette affaire est une affaire incroyablement douloureuse qui pose clairement une question d’interprétation juridique. C’est la raison pour laquelle un pourvoi a été formé devant la cour de cassation. Il apportera une réponse à cette question.
A.J.: Vous rappelez que le caractère antisémite de cet assassinat a été reconnu. Certes. Néanmoins, les juges l’ont reconnu uniquement dans la mesure où ils estiment que la rage de K. Traoré s’est décuplée à la vue du chandelier qui se trouvait dans le domicile de Sarah Halimi. N’est-ce pas finalement abusif de parler de reconnaissance de caractère antisémite de ce crime, vu qu’il n’est pas reconnu dans le sens du choix délibéré de s’en prendre à Sarah Halimi, et pas aux autres voisins de l’immeuble, uniquement parce qu’elle était juive ?
N.B. : Entrer dans l’analyse de la décision est quelque chose que je ne peux pas faire dans la mesure où un pourvoi en cassation a été formé. Je pense néanmoins que la reconnaissance du caractère antisémite dans cette affaire demeure importante, pour les victimes comme pour la République.
A.J.: Il y a dix ans dans l’affaire de l’assassinat d’Ilan Halimi, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, avait déclaré avoir demandé au parquet de faire appel des condamnations prononcées en première instance à l’égard des complices de Youssouf Fofana. Pourriez-vous avoir une démarche similaire ?
N.B. : Comme je l’ai indiqué la loi du 25 juillet 2013 interdit désormais au ministre de la Justice d’adresser aux procureurs de la République ou procureurs généraux des instructions dans des affaires individuelles. Il ne peut s’agir que d’instructions générales, telles celles que j’ai faites, le 4 avril dernier, lorsque j’ai écrit aux procureurs généraux pour leur dire de prendre en considération avec une vigilance et une sévérité toutes particulières les crimes racistes et antisémites.
« Mon engagement dans la lutte contre l’antisémitisme est total »
A.J.: La France est dotée d’un excellent arsenal judiciaire en matière de lutte contre l’antisémitisme. Pourtant aucune sanction prononcée jusqu’à ce jour n’a été suffisamment dissuasive pour arrêter la poursuite de ces actes. Comment expliquer cette dichotomie ?
N.B. : Mon engagement dans la lutte contre l’antisémitisme est total. Tous les actes et les discours de haine, qu’ils soient homophobes, racistes ou antisémites portent en effet profondément atteinte aux valeurs de la République, en ce qu’ils portent atteinte à notre projet commun qui est celui du vivre ensemble.
Je suis déterminée à ce que la politique pénale soit particulièrement ferme pour réagir contre les actes antisémites. J’ai d’ailleurs réuni le 18 novembre dernier l’ensemble des référents discrimination des parquets de France pour les mobiliser sur le sujet de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie.
On peut relever que les tribunaux prononcent régulièrement des peines significatives à l’encontre des auteurs d’infractions à mobile raciste ou antisémite. En moyenne, ces dernières années, les tribunaux ont ainsi prononcé à ce titre entre quatre cents et cinq cents condamnations par an, y compris à des peines d’emprisonnement ferme.
A.J.: Dans la réalité, on observe néanmoins une absence de placement en centre pénitentiaire des personnes condamnées. Absence qui peut leur procurer un sentiment d’impunité et entraîne, on l’a vu, des récidives….
N.B. : Ce que vous évoquez là n’est pas propre aux infractions à caractère antisémite. Nous avons des dispositions législatives applicables à tout le monde stipulant qu’une condamnation allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement pouvait faire l’objet d’un aménagement de peine et faire que la personne n’allait pas en détention.
J’ai fait voter par le Parlement une loi de réforme de la Justice qui entrera en vigueur le 23 mars prochain et qui fera en sorte qu’une personne condamnée à un an de prison ira effectivement en prison. En revanche, pour les peines plus courtes, nous considérons qu’il y a souvent d’autres modalités de réparation qui sont plus efficaces. Je pense notamment à des peines d’amende ou des peines de travaux d’intérêt général.
A.J.: Concernant les actions de boycott à l’égard des produits israéliens, souvent classées sans suite par le Parquet de Paris notamment, quelle politique pénale préconisez-vous à leur encontre ?
N.B. : Des parlementaires de tous bords, des associations de droits de l’Homme, et des intellectuels demandent régulièrement le retrait de la dépêche du 12 février 2010, également appelée « circulaire Alliot-Marie », qui appelle à une « réponse cohérente et ferme à ces agissements ». Cette question présente une grande sensibilité politique compte tenu des drames à caractère antisémite que notre pays a connus ces dernières années. Sachez que pour ma part je n’envisage pas le retrait de cette dépêche qui ne fait que rappeler le droit applicable, droit qui s’impose à tous, quand, évidemment, les conditions de son application aux cas d’espèce sont réunies.
A.J.: Une partie de la communauté juive et de la population en général a décidé de s’armer et va, sous peu, déposer de demandes de port d’armes. Qu’en pensez-vous?
N.B. : Autant je peux comprendre un sentiment d’insécurité, autant je ne suis pas favorable à des demandes d’armement qui, me semble-t-il, ne vont pas dans le sens de la paix sociale.
Protéger l’ensemble des citoyens français est le rôle des Forces de l’ordre et de la justice. Je ne crois pas à l’armement individuel. En revanche, je suis tout à fait attentive à ce ressenti de la communauté juive et c’est aux institutions de la République qu’il appartient d’apporter les bonnes réponses. En disant et en affichant le nombre de condamnations d’infractions à caractère antisémite, en rappelant l’ensemble de la politique qui est conduite, j’espère contribuer, un tant soit peu, à cette réassurance qui est essentielle aujourd’hui.
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